Territoires santé : qu’est-ce que le Tiers-lieu de Kersalic ?
Corinne Antoine-Guillaume : "À l’origine, Kersalic est un établissement territorial créé en 1977. C’était un foyer logement où résidaient 72 personnes. Le bâtiment a été réhabilité en 1996 et a reçu le nom d’EHPAD en 2006. A mon arrivée en 2013 en tant que directrice, Kersalic était un établissement qui présentait une organisation fragile avec des équipes ayant un besoin de formation. En 2013, j’ai souhaité travailler sur un nouveau projet : un lieu où les résident puissent rester le plus longtemps possible autonome, se sentir utile et où les professionnels puissent trouver du sens dans ce qu’ils font. La transformation a vraiment débuté après 2017. Le format village a été adopté au fur et à mesure, notamment en 2020 après la crise COVID. Aujourd’hui, Kersalic est présenté comme un modèle innovant."
Territoires santé : avez-vous rencontré des freins lors de la création de ce projet ?
C. A-G. : "Bien que ce nouveau mode de fonctionnement serve aujourd’hui de modèle à d’autres EHPAD, il a pu provoquer de la part des familles, résidents, institutions de la défiance et du doute. L’accompagnement proposé par l’ARS Bretagne m’a permis d’avancer et de construire un modèle tant dans l’accompagnement et l’accueil des résidents que dans l’organisation des salariés. La collaboration avec l’ARS est entière actuellement."
Territoires santé : quel est le principe de Kersalic ? En quoi est-il original ou novateur ?
C. A-G. : "L’EHPAD de Kersalic prend la forme d’un village avec toutes ses spécificités. Il y a notamment des rues et des commerces dans le village et chaque espace est pensé pour que les résidents puissent se sentir chez eux. À Kersalic on parle d’habitants plus que de résidents. Ils sont citoyens d’une ville, ils ont donc des droits, des devoirs mais aussi des besoins. C’est pourquoi le village est sectorisé en fonction des soignants et de leurs compétences, ce qui induit une connaissance fine de chaque habitant. Le but est de soigner tout le monde en fonction de sa pathologie parce que l’on se reconnaît dans l’autre."
"Pour les résidents, vivre à Kersalic c’est bien vieillir avec ses envies malgré leur âge avancé et leurs difficultés"
Territoires santé : les différentes maisons qui composent le village sont-elles accessibles au grand public ?
C. A-G. : "Le public et les familles sont les bienvenus dans les lieux communs tels que la brasserie, le restaurant ou encore le cinéma qui sont au cœur du village et dans lesquels les habitants peuvent évoluer librement. Derrière le mot dépendance, on a découvert que l’autonomie de certains résidents était encore là. Nous nous sommes rendu compte que les habitants voulaient rester utiles et avoir une place importante dans la société. Les familles peuvent venir voir leurs proches à n’importe quelle heure et sans rendez-vous."
Territoires santé : combien de personnes « habitent » à Kersalic et y travaillent ?
C. A-G. : "Kersalic accueille 72 habitants et 54 professionnels y travaillent avec comme principe de la polyvalence. C’est une façon de rompre avec la routine. Tout le monde est soignant avec des compétences différentes mais tout le monde œuvre pour l’accompagnement des personnes âgées."
Territoires santé : comment avez-vous accompagné les professionnels dans ce changement ?
C. A-G. : "Une réflexion entière à propos de ce qu’est le métier de soignant auprès des personnes âgées a été rendue possible grâce à une formation. L’objectif : avoir une vision plus claire de l’espace et de la façon dont on travaille tout en apprenant à mettre des mots sur l’offre de soin. Il ne faut pas oublier que nous sommes chez l’habitant et non pas chez nous, il a le droit de dire oui et il a le droit de dire non."
Territoires santé : avez-vous des retours de la part des résidents et des familles de ce qu’apporte ce mode de fonctionnement ?
C. A-G. : "Actuellement, toutes les chambres sont occupées à l’EHPAD et il y a plus de 250 demandes par an pour l’accueil de nouveaux résidents au village de Kersalic. Les résidents ont toute leur place dans la société, ils se sentent encore utiles et participent à des activités quotidiennes telle que la préparation des repas. Le modèle plait. Pour les résidents, vivre à Kersalic c’est bien vieillir avec ses envies malgré leur âge avancé et leurs difficultés. « Vivre tout simplement »".